vendredi 28 décembre 2018
Aquarius
J’assiste à mon dernier coucher de soleil.
Dans mes yeux fatigués, les couleurs se reflètent en les teintant d'amertume. Un voile de larmes floute mes dernières images de l’horizon flamboyant. Une légère brise emporte avec elle mes instants de bonheur. Ces éclats s'envolent pour mourir dans les murmures des vagues compréhensives. Je me sens vide, perdu et désemparé.
Mon cœur est prisonnier de son cercueil.
Du haut de cette falaise je me laisse dériver entre les limbes souterrains, cherchant sa présence enfouie au plus profond de mon âme. Celle qui a enchanté ma vie, embellissant de pétales mon chemin, s'est fanée, assombrissant la lueur vacillante de mon regard.
J'ai froid…
Elle a brisé les chaines de mon passé et fendu la pierre qui habillait mon cœur, exempt de tout sentiment. Elle s'est immiscée lentement dans les méandres tortueux et soufflé un parfum aux senteurs délicates. Elle promenait ses doigts fins sur mes cicatrices et caressait l'espoir de redonner un souffle d'envie sur ma peau meurtrie. Sa bouche embrassait mes silences et sa langue léchait mes lèvres muettes. Elle déchirait avec passion le cocon de mon impassibilité. Des filaments parsemaient les draps de nos ébats fougueux.
Aujourd'hui, elle est partie, envolée et éparpillée aux quatre vents. La terre est son écrin et la mer porte en elle ses dernières paroles. De temps à autre les vagues nourrissent l'air de tendres écueils. Des je t'aime imaginaires me parviennent du lointain. Je sens que je ne pourrai bientôt plus résister à ces appels.
Le soleil se meurt, laissant derrière lui une traînée de couleurs impalpables. Mon cœur saigne, ouvert sur une noirceur ancienne.
Tu me manques…
Hier, j'ai fleuri ta tombe, ramenant un morceau de soleil, perdu entre deux pierres grises et délavées. Dans ce triste endroit, je me suis laissé tomber, incapable de tenir droit. La joue sur ton ventre je cherchais le souffle qui me ferait avancer à nouveau. Mon oreille n’entendait rien d’autre que le bruit de mes battements. J’étais bien, plongé dans mes souvenirs.
Le temps d’un instant.
Mon regard se porte sur le ciel déchiré, défait de n’être qu'un spectateur silencieux, laissant éclater sa tristesse et tremper mon être décharné. Ma tête s'ennuie de ses rires, de sa voix. Elle savait me faire grandir, si haut, que j’aurais pu toucher les étoiles et embrasser certaines constellations.
Mais dans mes souvenirs, elle a fait bien plus que briser ma chrysalide. Elle m'a construit un monde connu de nous seuls. Coupés par une rencontre insolite, nous avons bâti des remparts, scellés nos lèvres à cet espace imaginaire. Ce lieu nous protège des affres de la vie et contribue à ne pas nous éloigner loin de l’autre. J'y retourne parfois, mais les saveurs sont fades et manquent de lumière chaleureuse. Depuis qu'elle n'est plus, l’endroit me paraît incertain et dénué d'entrain. Je m'applique à parcourir les rues et à m’asseoir dans les dunes en fleurs mais le sable me semble glacé sous mes pieds.
Je voudrais tant que tu sois là, une dernière fois. Me susurrer des mots enrobés d'amour et légèrement saupoudré de douceur. Ta voix manque à mes courts instants de lucidité. Je rêve de m'évader, de parcourir le monde offert à mes pieds fatigués. De fendre les océans, caresser les vagues millénaires et les voir mordre les rochers impassibles. Sentir la chaleur grisante de tes regards amoureux.
Tu me manques.
J’ai en bouche le souvenir d'un goût de cendres. Te voir libre et immortelle, effleurer les airs de tes pas feutrés. Les mains tendues, je t'ai sentie glisser et t'échapper, emportée par le vent enchanté de t'avoir à ses côtés.
Tu vogues, surfant sous les alizés, pourfendant d'un air nonchalant la mer tel un navire esseulé. Ta liberté me rappelle que je ne suis qu'un homme, une chaloupe perdue dans l’océan de ma tristesse. Je dérive, ballotté par les tempêtes, les yeux rougis par le manque.
Un jour nous serons ensemble, et ce jour-là, ce sera un nouveau commencement…
Aquarius, Décembre 2018
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