mercredi 6 mars 2019

Boréale

Au loin, un chant m’est parvenu dans l'aurore boréale.  

Un chant envoûtant, une mélodie venue du fond de la mer m’a fait me pencher par-dessus le bastingage. En plongeant mon regard dans les abysses je n'y ai vu que le reflet de mon désespoir. Perdu, au milieu de l’océan, je dérive pris dans les flots amers de ma solitude. Je me noie à la surface de ce monde si lisse en apparence.  

Ivre d’émotions j'ai lâché prise et me suis écroulé, inerte sur le plancher de ma grisaille.  

Une main douce aux griffes acérées s'est posée sur ma joue, creusant un filet rouge. Me réveillant en sursaut j'ai découvert ces yeux émeraudeme laissant happer par une musique enivrante.  

Son corps mi femme me subjuguait par sa beauté naturelle. Sa queue de poisson frappait sans cesse le ponton. Ses longs cheveux noirs descendaient jusqu'à ses seins ronds et pleins. Dans le dos et sur les avant-bras des petites ailes assuraient un aérodynamisme effilé.  

Son chant ne me quittait pas et ma tête devenait de plus en plus lourde. Je dansais sous les étoiles brillantes. Mon corps ne m'appartenait plus, flottant, se mouvant tel un poisson rapide. Autour de moi, des fleurs sous-marines endiablaient ma descente lente et savoureuse. L'air commença à me manquer et lorsque je refis surface je n'avais pas bougé. J’étais toujours allongé sur le ponton avec la femme poisson qui me fixait de ses pupilles dilatées.  

Elle se pencha soudain et posa ses lèvres humides sur les miennes. Sa langue se fraya un chemin pour s'enrouler autour de la mienne. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort. J’avais l’impression que l’océan se joignait à nos caresses buccales. Cet instant aurait pu durer l’éternité.  

Puis elle se releva et me regarda longuement en soufflant bruyamment. Sa belle queue se muait doucement en deux jambes longues. Elle fit face à l’horizon, et sous la voûte étoilée, elle chanta, faisant sortir des notes harmonieuses, illuminant le ciel et mon cœur pris dans son filet.  

Elle a plongé brusquement me laissant avec un arrière-goût d’inachevé. Un sentiment de plénitude salée recouvrit mes ardeurs piquées au vif. J’hésitai à sauter pour la rejoindre mais les couleurs vives de l'aurore s'obstinaient à m'entourer de chaleur. Passant ma langue sur mes lèvres j'essayais de retrouver le goût de la belle créature.  

Je me suis endormi, me laissant sombrer dans les abysses étouffantes et noires. Mon corps semblait vouloir se fondre dans les méandres opaques de ces eaux pourtant si claires. Je sentais la pression écraser ma poitrine et l'air s’échapper de mes poumons endoloris.  

Quand je me suis réveilléle ciel était bleu et la mer brillante de douceur.  

Dans les jours qui suivirent, des modifications mordaient ma peau. Des petites nageoires et des ouvertures semblables à des branchies sont apparues. Mes yeux se faisaient plus sombres et dans ma tête résonnait une douce mélodie envoûtante et enivrée.  

L'appel de L’aurore boréale se faisait sentir. Oserai-je plonger à corps perdu dans ce monde inconnu qui me tend les bras.  

Hauteurs

Dans les rues de Paris, j’ai senti des volutes de courbes entourer mon esprit volatile. Des senteurs parfumées embaumaient la grisaille matinale. Les formes acérées de Vasarely m'emportaient dans un univers de cubes cosmiques. Son travail précis distillait çà et là des couleurs métamorphosées empreintes d'ombres et de lumières. Mes sens se perdaient dans les méandres opaques des œuvres lisses et ondulantes.  

Au détour d'un mur, une femme posa son regard clair sur moi. Mes pieds montèrent sur la terrasse ouverte et je plongeai dans un tourbillon de cercles concentriques. Au-dessus des toits de la ville mon cœur brisé s'éparpilla  aux vents rosés.  

Je tombai dans les bras de cette inconnue, inanimé. Des lambeaux de mon âme effilochée s'engouffrèrent dans son cri de surprise.  

Les formes géométriques me poursuivaient, leurs musiques complexes griffaient ma peau sur un air déchirant.  

Sur la place Beaubourg j'entendis les plaintes silencieuses de la fontaine desséchée. Sa verve ne caresse plus les yeux des passants de sa splendeur immergée. Les larmes de Stravinsky  ne souillent plus de leur légèreté les joues émerveillées. Sa liqueur a cessé de faire danser les étoiles dans les pupilles dilatées. Lafontaine pleure de ne plus être d’eau.  

Je suis le cours de la Seine, au loin un chant me rappelle que l’air ne souffle plus les chandelles. De pas en pas dans le Marais je me retrouve aux Lilas, suspendu entre le temps et l'espace. D'être un instant pris entre le vivant et le calme.  

Cette découverte du monde m'entoure et me ramène là où je suis né, nu, entre le beau et l’être.  

Histoire de passer, un temps, une journée, une vie.