samedi 25 août 2018

Déchirures

Elle s’appelait Anaïs. Dans ses yeux, on pouvait lire de la colère et parfois de la mélancolie. Elle avait décidé de couper ses cheveux trop longs. Je dois avouer que cela lui donnait un petit air de princesse des temps modernes.


J’aimais beaucoup la faire sourire et parfois rire. J'aimais discuter par messages de tout et de rien. Elle était toujours prête. Sa bonne humeur me rendait joyeux. Elle avait à cœur de m’aider quand je n'allais pas bien.


Elle va me manquer. Elle me manque déjà. Elle me manque tout court.


Elle danse dans ma tête, tel un cerf-volant dans un ciel bleu. Elle jouait avec le vent et criait comme les mouettes. Ses yeux me rappelaient que je ne pourrais vivre sans elle. Tout me rappelait à ses éclats de rire. Sans attaches, libre comme l'air. J’aurais voulu l’emmener par-delà les montagnes, lui montrer la terre verte et les arbres écorchés. La vie en dehors de la capitale lui aurait certainement plue. Je m'amusais à regarder les veines de ses mains sillonner ses bras comme les lézardes sur les murs. Son bronzage léger faisait ressortir ses lèvres douces et pulpeuses. Elle aimait beaucoup se prendre en photo. Et faire partager son œuvre. Je pensais qu'un jour je la percerais à cœur ouvert mais le temps ne m'a pas laissé la certitude de le faire.


Tu me manques Anaïs. Chaque jour un peu plus.


Elle se rapproche des étoiles en tournant autour de mon dessein. Ses yeux pleins de gentillesse me perturbe dans mon objectif d'atteindre le centre de cette singularité. Tu es mon trou noir, tu seras ma perte et ma victoire. Si je pouvais graviter autour de mon soleil sans me brûler au point d’être un aveugle, les yeux ouverts mais le cerveau embrumé par la déchéance. J'ai peur d’avancer et de ne plus dormir sans ne plus te toucher dans mes délires mordants. Je ne sens plus le train de ma vie rouler sans à-coups et le rail m’éloigne de ma gare natale. Que ferais-tu Anaïs ?


J'aimais lui raconter des histoires, lui dire que la vérité ne se cherchait pas ailleurs mais dans ses yeux. Lui montrer que l'on peut être heureux sans être millionnaire mais pas sans amis. Sa vie était faite de petits riens et de grands rires. J’aurais aimé lui dire qu'elle me plaisait telle qu’elle était. Je n'en ai pas eu le temps. Par contre, j'ai pu la voir encore. Je la vois toujours.


Tu me manques Anaïs.


Jamais je n’oublierai le son de ton rire. Si chaud, si envoûtant… Tellement en adéquation avec la personne que tu étais. Que tu es. Tu me manques tellement. J'en ai presque les larmes aux yeux. J’aurais tant voulu te découvrir, déshabiller ton âme et abaisser les remparts que tu as construits quand t'es retrouvée aussi nue qu’une enfant née. Dégriffer les amertumes de silence et désargenter les couleurs de tes joues où perlaient de temps à autre des diamants bruts. Si la pudeur est un naufrage la tendresse est ton île de beauté. Tu me laisses dériver, le cœur en lambeaux, déchiré par les vagues de solitude qui me mènent inexorablement vers l'infini tapis de douceur dont sera recouvert mon cercueil. J’aurais voulu t'emporter loin de ces mirages boréales.


Tu me manques Anaïs.


Jamais je n’aurais imaginé que tu ne serais plus là. Je pensais que tu pouvais résister à tout, que tu étais la force tranquille, sans limites. Et pourtant, quand on regardait tes yeux on pouvait y voir un manque d’éclat. Un reflet lointain de la fragilité dessiner une ombre presque irréelle. J’adorais t’embrasser dans le cou, glisser mon souffle sur ta peau. Sentir tes mèches pointues chatouiller mon visage. Entendre ton cœur battre plus rapidement et tes mains jouer avec mes cheveux.


Si ce moment avait pu durer l’éternité.


Tu me manques Anaïs.


J’écoute Saez en boucle et je fume trop. J’aime te revoir dans mes pensées éphémères. L'air trouble me rappelle à tes paroles douces et sensuelles. Ta voix si fragile m'enivre au point de me réveiller dans mes rêves. Je me perds dans les méandres de tes caresses sauvages. Tu dors dans les limbes de tes courbes charnelles, immobile aux sons délicats de mon imagination. J’aimerais pouvoir te ramener mais tu échappes à mes intentions solitaires.


Tu me manques Anaïs.


Je me rappelle son souffle léger et calme lorsqu'elle dormait, la tête perdue dans les abîmes noirs de ses sommeils. J’ai cru apercevoir à la commissure de ses yeux des perles salées, sans doute une tristesse enfouie et réanimée semblables aux embruns qui fracassent les bateaux trop faibles pour leurs résister. En glissant ma main sur son sein je sentais sa peau satinée se tendre sous l’effet du frisson. Ce que je voulais c’était atteindre son cœur et l'entendre dormir lui aussi.

J’aimais la regarder. Quelque fois elle s'en apercevait et d’autres non. Quand j'ai froid, je me rappelle sa voix douce. Elle me sert d’oreiller et je m'endors auprès d’elle. Tu inondes de tes mots mon esprit recroquevillé dans la froideur amoureuse. Ton vocabulaire lumineux exerce une attraction solaire sur la couleur délavée qui me laisse usé et terne. J’ai peur de ne pas pouvoir être sans toi. Je
ne peux rester immobile à te rappeler sans cesse de me redonner le sourire et l'envie de ne plus te voir.


Tu me manques Anaïs.


Je suis ici et là-bas. J’attends que tu m'appelles. Dis-moi quand je pourrai te voir avec tes yeux. Dis-moi ce que je peux faire pour être et ne plus être sans toi. J’ai peur d’avancer, de rester, de ne plus être. Je ne peux pas ne plus te voir. Tu n'es plus mais tu restes en moi. Ton image est imprimée sur ma rétine et l’humeur qui en découle ne me remplit pas d’espoir. Je sens que le noir s’installe et que le blanc disparaît doucement. Je sombre, au plus profond de mon ennui, vers l’infinie sagesse de non-retour. Ne te moques pas. J'ai peur de vivre. Sans toi. Anaïs.

Mes doigts s'engourdissent et mes bras se transforment en ouate. Mon souffle ralentit et ma gorge s'assèche. Mes paupières se ferment mais mes yeux s'ouvrent. Je te vois. Enfin. Tu es là. Me souriant. Enfin.

J’attendais ce moment depuis si longtemps. Cette plage est magnifique. Le ciel bleu sans nuages et le soleil brûlant…


Tu me manquais Anaïs.


Bon, tu viens ou tu passes la nuit ici ?
Me hurle ma femme…
Dépêche-toi, on va louper le début du film…
Pff, plus moyen d’être tranquille nulle part. Même dans ses rêves.


Mais qui es-tu Anaïs ?

Apesanteur

J’ai vu dans ses yeux que je n’étais pas le premier. Par contre j’ai senti sur ses lèvres que je serais le dernier.

Sa langue endiablée dansait autour de la mienne telle une hirondelle chante le printemps. Sa peau douce sentait la lavande et le pin. Je sentais ses seins fermes écraser ma poitrine haletante.

Plus le temps passait plus je sombrais dans un rêve aérien. Les reflets du soleil dans ses cheveux ressemblaient à des éclats d'or laissant s’éparpiller des poussières d'ange. Le flottement du ciel engourdi faisait grimacer les nuages lourds et mécontents. L'air se sentait plume et l’ombre du vent portait mon cœur jusqu'en haut des abîmes théâtrales. Le voile du rivage offrait une vue jusqu’à l’horizon de lueurs glaciaires.

Je l'ai entendue frissonner et s’étendre dans l'averse chaloupée et emporter nos frêles esquifs sentimentaux. J'ai attendu qu'elle soit au milieu de l’océan affectif pour embarquer vers une amertume plus contenue. Nous nous sommes agrippé à un morceau d'amour qui nous entraîna vers une chute tumultueuse et jonchée de débris. Des instants de détresse, de doutes, d'inconnus nous encerclaient mais poussé par l’envie d'avancer nous les avons balayé d'une larme passive.

L'exode animal nous caressait de son regard serein et bienveillant. Notre lutte a fondu et le ressac larmoyant a défait nos corps enlacés. Nous avons vaincu les chemins tortueux et fugaces de notre désir d’être ensemble.

Pour toujours, je suis lié à celle qui m'offre une vue imprenable sur l'eau de son cœur. Le temps de notre liaison influe sur le comportement chatoyant de notre regard sur la rondeur de la terre…

Laisse ma barque avancer au gré du vent soufflant. Écoute son sein danser comme une baleine dans son élément. Respire le parfum de ses lèvres exquises rouge cerise. Décide de la trajectoire à suivre pour croiser les larmes du soleil et gravir les marches de la vie…

Aurore

J’aimais te regarder dormir. Un souffle de vent caresser tes cheveux. Entendre ton cœur battre encore et encore. Voir ta poitrine se soulever et faire danser tes vêtements.

Tu m'as dit un jour de ne pas avoir peur. De grandir sans me soucier du destin des autres mais plus du mien. Gravir sans m’arrêter les marches de la vie. Regarder de temps à autre les arbres fleurir et se faner. Rire des belles choses et ne pas regretter de ne pas avoir eu mais jamais de ne pas avoir été. Avoir su montrer mes larmes et ne pas les retenir malgré la douleur.

J’entendais tes paroles si vraies me dire ce que je ne voulais pas voir. J’attendais que le soir tombe et j’allais me promener sur les plages de notre départ. Celles qui nous avaient vus naître ensemble. Celles qui ont fait de nous ce que nous sommes. Celles qui ont assisté à ce que nous étions et ne serons plus. Ensemble.

J'ai longtemps parcouru les chemins imaginaires qui me menaient à de sombres horizons et de lumières crues. Vides de cet essentiel qui nous maintenaient vivants. Aujourd'hui je ne suis qu'un point parmi tant d’autres dans cet univers triste et morbide. Je suis en vie mais mort à l’intérieur. J'erre sans buts, dans les méandres froids et sans âmes de mon imagination. Je suis sans idées une route épurée de goûts. Sans envie ni raison je me traîne dans l'espoir de trouver l’étincelle qui me ramènera vers des eaux plus sauvages. Je n’ai plus faim d'espaces ni de soleil mais bien de solitude acharnée pour rester à tes côtés.

La mer, lisse et soyeuse, se montre compréhensive à mon égard. Elle se fait vague et fourmille de caresses embrumées. Le soleil se fond dans son antre et me regarde me liquéfier tandis que je me noie dans les hurlements du vent. J'ai du mal à respirer et mes yeux s'imbibent de cette odeur charnelle si docile. Je marche à contre-courant comme si je pouvais retenir le temps entre mes doigts. Mais au lieu de s’accrocher il file et le sable pleure de ne pas être de pierre.

J'ai cru pouvoir te rejoindre mais tu étais le mirage qui me trainait dans le désert de mon amour propre. Jamais je n’aurais pensé que tu ne serais plus avant moi. Avant nous.

Après moi, il n'y aura que poussière et amertume. Illusions et infantiles dégoûts. Désillusions et mortelle escapade. Sagesse et cruelle sentinelle. Envie et amour perdu.

Je te regarde dormir et je ne peux m’empêcher de me demander quand nous serons ensemble. Un jour, l’espace d'un instant, ou une nuit l’espace d’une courte vie.

Je te regardais dormir et je me voyais sombrer lentement dans ce tapis doux qui me rappelait l'herbe sauvage des forêts animales. Cette senteur si particulière que j’ai pu croiser alors que je t'attendais en silence.

La nature m'annonçait ton arrivée proche et pourtant encore lointaine. J’aurais aimé grandir plus vite mais le temps ne se pressait pas. Tandis que le mien l’était. Un jour tu serais là.


Mais quand ?


Et tu m'es apparue, alors que je nageais entre deux eaux, le courant m'a fait palpiter plus loin que les abysses sentimentaux n'auraient joué avec les thermes souterrains. Un choc frontal nous a fait perdre le sens de la rosée matinale. J'ai vu sur tes joues une fleur de perle glisser le long des parois lisses et vierges d'émotions brutes. Tu as ouvert tes lèvres et j'ai glissé mon regard dans les entrailles de ta bouche humide. Tu m'as dit d'une voix douce que j'étais là et que tu me cherchais. Je t'ai répondu que je savais et que je t'attendais.


Maintenant c'est toi qui m'attends. Depuis que tu dors, je n'ai cessé de repenser à notre histoire qui ne se terminera jamais. Parce qu'un jour nous serons ensemble, encore et toujours.


 À bientôt...





Balafre

Tu es là, depuis toujours ou presque, à mes côtés. Je te sens, pénétrante et insidieuse, faire rougir ma peau. J'aimerais que tu me laisses décider parfois du sort qui m'est jeté. Pourtant tu ne cesses d'entraver mes efforts et de recourir sournoisement à une fin moins tragique. Ton emprise sur mes doutes marque son empreinte d'une lutte acharnée et vorace. Tu ne me laisses pas d’autres choix que de faire couler le sang. Il se glisse dans les recoins sombres et obscurs de mes sentiments les plus noirs. J'ai hâte de guérir et de m'atteler à une tâche plus lumineuse. Je suis marqué à vie par tes desseins qui me rappellent le temps où je te sentais au plus près de mon cœur. Tu me faisais crier jusqu’à m'en perdre les ongles de douleur. Te sentir m'envahir et repousser mes chairs faibles et agonisantes me donnait envie de ne plus respirer. Mais te savoir avec moi dans les plus petits combats me réjouissait d’avoir quelque chose à partager. Regarder cette lame s’offrir mon visage en me trouant la peau avec autant de facilité m'a redonné espoir. Je survis à mon cauchemar et me remets doucement. Je pourrai à nouveau me montrer sous un nouveau jour. Tu fais à présent partie de moi. De cet être grandissant laissant derrière lui une partie de son enfance. Violée et volée par une arme tranchante et affûtée aux caresses capricieuses et tenaces.


Désormais tu resteras à jamais gravée en moi, ma cicatrice.

Améthyste

J’ai senti une main sur ma bouche et reconnu tes doigts. Ton odeur me manquait et je pensais que tu ne reviendrais pas. Cette senteur de lavande et de pins grésillait au fond des arbres fruitiers et m'amenait leurs parfums. Ton sourire était là, immobile, me fixant dans la douce lumière automnale. J'adorais voir cette lueur au fond de tes yeux clairs. Un mélange d’améthyste et doré me fascinait toujours. Tu me regardais en fronçant légèrement les sourcils.

J’avais eu si souvent envie de te voir que j'en rêve encore.

J’aimais entendre ta voix résonner dans le silence de notre simplicité. Tu n'aimais pas les grandes démonstrations et préférais de loin celle de notre imagination à oublier le temps. Les espaces grandioses offraient à nos cœurs une liberté soudaines de voyager en toute sérénité. À l'abri des regards indiscrets sur notre relation si soudaine. J’enviais la nature à être notre complice de jeux.

Je t'aimais autant qu'on puisse le faire en étant libre et sans secrets.

J’ai voulu te faire plaisir en essayant de me rapprocher de moi. Mais tu n'as pas compris mon dessein et tu m'as abandonné, seul, face à moi-même. Je t’ai perdue, et je ne cesse de vouloir te retrouver mais tu n'es plus là. Tu as déserté les plaines de notre rêve pour te réfugier dans un espace sans barrières. Tu me laisses, inutile, à chercher sans jamais trouver une réponse à ma question.

J’ai peur sans toi. Je ne suis plus celui que tu aurais voulu. J'ai changé et les reflets de ton visage ne sont plus que des traces indélébiles d’où s’écoule une rage de t'avoir perdue. J'ai cassé ce qui nous unissait et faisait notre force. Un jour, je te retrouverai mais tu ne me reconnaîtras pas et nous nous croiserons sans délices. Tu continueras ta route vers l’infini et moi, j’irai où mon destin l’aura choisi.

Mais, juste avant, je te dirai que je regrette de t'avoir trahie…


Ma liberté….

Vert d'eau

Mon cœur saigne et mes yeux se noient. Je suis triste de perdre ce qui me faisait sourire chaque matin.

Au réveil je sentais déjà son regard s’abattre sur ma bouche sèche et pâteuse. L’océan de caresses s'emparait de mon corps et laissait son empreinte cachée sous les draps. Une pluie de baisers dévastait mes lèvres et les laissait affamées de picotements. Souvent je me perdais dans le vert de ses yeux. Je sentais ses mains douces et agiles glisser sur mon corps. La chaleur de ses seins me transperçait la peau. Épuisé par tant d’efforts pour rester éveillé je m'abandonnais dans cette prison de plumes. Souvent elle finissait par gémir et son souffle régulier me parvenait depuis l'autre monde. Je flottais entre deux nuages, sombrant doucement dans une chevauchée sauvage et haletante. Des bruits de sabots et des cris étouffés me faisaient frissonner. Mon cœur s'emballait et la pression artérielle de nos sangs bouillonnants nous faisait hurler à l’unisson.

Je la sentais s’allonger sur moi et me serrer dans ses bras doux. Je caressais son dos en lui murmurant des paroles d’amour. Elle s’abandonnait avant de sombrer dans des abysses tumultueuses et cycloniques. Nous reprenions nos souffles et nous nous rendormions après l'orage imaginaire.

Ce jour-là ce fut le dernier et la tempête s'est abattue sur mon oreiller. Je me suis retrouvé seul en mer comme un naufragé guettant une île pour reprendre son souffle. Les vagues bourdonnaient et le désordre affectif a sonné la fin du voyage. L’amertume grisonnante et le chagrin ont rendu cette plage de délivrance inapte à m'accueillir seul et décharné. Un soleil éblouissant me brûlait les yeux et rendait aveugle ma poursuite vers une route plus solitaire. J'ai mis des années avant de m’apercevoir que je n'avançais pas. J’étais immobile au même endroit à fixer l’horizon espérant une lueur verte. Et pourtant le son d'une sirène faisait écho mais ce n’était pas sa voix. C’était celle du bateau sensé me ramener vers le monde des tremblements.

J’ai assisté à sa crémation. Je l'ai dispersée aux vents pour qu'elle puisse me retrouver sur cette île. Nous serons perdus, tels des Robinson, à consommer notre faim et notre soif de l'autre.


Et si nous entendons une sirène nous saurons qu'elle n’est pas celle que vous croyez. Elle sonnera le glas de notre éternité. De notre éternel amour d’être enfin réunis.


D'être ensemble….

Manège

J'entends encore son rire me transpercer les oreilles. Elle ne pouvait s’empêcher de faire des grimaces. Je la revois, assise sur ce cheval gris, les cheveux au vent. Elle me faisait signe de la rejoindre mais je préférais rester sur ce banc. Ce manège était sa friandise adorée. Elle se prenait pour une cavalière émérite, lâchant sans peur les rênes de ce cheval de bois. Et lorsque le tour était fini elle sautait de son brave destrier, lui faisait un câlin et un bisou pour le remercier et s'élançait dans mes bras. Elle m'attrapait le cou et m'embrassait comme une furie. Je la regardais en souriant et lui demandais de me laisser respirer.


Et puis, nous allions manger une glace et terminions la journée au parc. Elle s’endormait souvent dans mes bras. Je sentais son souffle sur ma peau et fermais les yeux pour m'imprégner de cette douceur journalière. Nous étions heureux.


Un jour sur ce banc, une balle perdue a dévasté mon cœur et brisé son front. Je la regardais dormir de ce sommeil duquel on ne se réveille pas. J'ai senti des larmes couler sur mes joues sèches. Je ne pouvais détacher mon regard de son visage en apparence si calme et pourtant déjà mort. J'ai caressé ses cheveux comme on caresse l'espoir de ramener la vie. Je n'entendrai plus sa belle voix me dire que je lui manque alors que cinq mètres nous séparent. L’éternité sera notre fossé mais elle ne s'en plaindra pas.


Ce jour-là notre monde s'est effondré emportant avec lui ses rêves d'enfants. J'ai cru que l'enfer m’ouvrait en deux et qu'une rivière de sang s'abattait sur notre terre. Plus qu’une morsure ce fût une déchirure. Une étreinte glacée m'a emporté au cimetière, des lambeaux de nuages accrochés aux mirages tombants des lampions squelettiques. L’ambiance morbide régnante sur ce morceau de terrain abandonné des vivants m'a prise à la gorge. Et l'odeur macabre et fétide des pierres tombales m'a rempli la bouche comme des vers s'engouffrent dans un cadavre. Je respirais les parfums solitaires des fleurs fanées qui ornaient les allées mornes et à l'agonie.


J'ai longtemps fixé sa tombe. D'un œil vide et déserté. Je suis tombé à genoux, incapable de me relever. La poussière m’empêchait de respirer. J'étouffais, je suffoquais. Elle ne sera plus qu’un cauchemar parmi mes rêves de grandeur. Elle ne sera plus mais elle sera toujours là dans ma tête.


J'erre sans idées dans ce désert affectif. Elle me manque. J’entends encore son rire, ouvrant mes blessures et libérant mes larmes. Je revois ses yeux lézardant mes joues et saigne mon coeur. Je la vois courir vers moi, ses bras tendus et ouverts, en réponse aux miens.


Tu me manques, jamais tu ne disparaîtras de mon horizon. Tout comme Omaha beach pour des milliers de soldats, tu seras ma plage, mon tombeau. Un jour, nous nous reverrons, mais pas encore…


Au revoir, mon enfant, ma fille,…