samedi 25 août 2018

Manège

J'entends encore son rire me transpercer les oreilles. Elle ne pouvait s’empêcher de faire des grimaces. Je la revois, assise sur ce cheval gris, les cheveux au vent. Elle me faisait signe de la rejoindre mais je préférais rester sur ce banc. Ce manège était sa friandise adorée. Elle se prenait pour une cavalière émérite, lâchant sans peur les rênes de ce cheval de bois. Et lorsque le tour était fini elle sautait de son brave destrier, lui faisait un câlin et un bisou pour le remercier et s'élançait dans mes bras. Elle m'attrapait le cou et m'embrassait comme une furie. Je la regardais en souriant et lui demandais de me laisser respirer.


Et puis, nous allions manger une glace et terminions la journée au parc. Elle s’endormait souvent dans mes bras. Je sentais son souffle sur ma peau et fermais les yeux pour m'imprégner de cette douceur journalière. Nous étions heureux.


Un jour sur ce banc, une balle perdue a dévasté mon cœur et brisé son front. Je la regardais dormir de ce sommeil duquel on ne se réveille pas. J'ai senti des larmes couler sur mes joues sèches. Je ne pouvais détacher mon regard de son visage en apparence si calme et pourtant déjà mort. J'ai caressé ses cheveux comme on caresse l'espoir de ramener la vie. Je n'entendrai plus sa belle voix me dire que je lui manque alors que cinq mètres nous séparent. L’éternité sera notre fossé mais elle ne s'en plaindra pas.


Ce jour-là notre monde s'est effondré emportant avec lui ses rêves d'enfants. J'ai cru que l'enfer m’ouvrait en deux et qu'une rivière de sang s'abattait sur notre terre. Plus qu’une morsure ce fût une déchirure. Une étreinte glacée m'a emporté au cimetière, des lambeaux de nuages accrochés aux mirages tombants des lampions squelettiques. L’ambiance morbide régnante sur ce morceau de terrain abandonné des vivants m'a prise à la gorge. Et l'odeur macabre et fétide des pierres tombales m'a rempli la bouche comme des vers s'engouffrent dans un cadavre. Je respirais les parfums solitaires des fleurs fanées qui ornaient les allées mornes et à l'agonie.


J'ai longtemps fixé sa tombe. D'un œil vide et déserté. Je suis tombé à genoux, incapable de me relever. La poussière m’empêchait de respirer. J'étouffais, je suffoquais. Elle ne sera plus qu’un cauchemar parmi mes rêves de grandeur. Elle ne sera plus mais elle sera toujours là dans ma tête.


J'erre sans idées dans ce désert affectif. Elle me manque. J’entends encore son rire, ouvrant mes blessures et libérant mes larmes. Je revois ses yeux lézardant mes joues et saigne mon coeur. Je la vois courir vers moi, ses bras tendus et ouverts, en réponse aux miens.


Tu me manques, jamais tu ne disparaîtras de mon horizon. Tout comme Omaha beach pour des milliers de soldats, tu seras ma plage, mon tombeau. Un jour, nous nous reverrons, mais pas encore…


Au revoir, mon enfant, ma fille,…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire