Dans ses yeux, une part sombre brûlait en silence. Elle ne laissait rien paraître si ce n’est une douceur et une tendresse tellement fortes qu'on la croyait sincère. Pourtant, ce désir de chatouiller la part sensible présente en chacun de nous faisait fondre les barrières les plus solides. Pris au piège, je m’enfonçais paisiblement sans m'en rendre compte, dans une illusion digne des plus grands numéros de prestidigitation. J’avançais les yeux fermés vers une forme pure et dangereuse du mal. Mon cœur était serein et mon esprit léger. À aucun moment je ne vus la fin de mon monde.
Ses yeux violets, remplis de bienveillance me regardaient d'un air lointain et plein de gentillesse. Ses mains douces caressaient ma peau crispée par le temps qui avait fait son œuvre et l’amertume a délavé les morsures des années. Sa bouche rouge, laissait place quelques instants à des dents blanches et pointues. Son sourire n’était pas carnassier mais plutôt protecteur. J'ai souvent eu envie d'y plonger ma langue. J'apercevais sa poitrine soulevée par une respiration lente et calme. Son cou laissait entrevoir un battement profond et sensuel de sa carotide.
Quand je m’abandonnais dans ses bras souples je sentais étrangement une main se glisser dans mon corps et serrer mon cœur. Je voulais crier mais une présence dans ma bouche étouffait mon cri et mon sang semblait se refroidir.
Un jour, je sentis des canines atteindre ma gorge et s'enfoncer progressivement dans ma chair. Une force implacable envahissait mon esprit et embrasa mes sens en faisant couler le peu d'envie qu’il me restait. Je sentais sa présence dévorer ma volonté et la passion de m'accrocher à son flanc se précisait au fur et à mesure que je sombrais lentement dans un rêve sans lumière.
Je me noyais, perdu entre deux eaux, isolé dans un océan d'ouate. Le ciel faisait pleuvoir des plumes blanches tombées des nuages en lambeaux, déchirés par une tempête de larmes. Elles dessinaient dans l'air des arabesques pointues comme des milliers d’aiguilles visant le sol abîmé par les ailes agonisantes des anges meurtris. Mes yeux regardaient sans voir ces vestiges d'une vie passée à lutter contre un être dénué de bonté. J'eus de la peine pour le serviteur que j'aperçu, les cheveux au vent, flottant dans ma direction. Je ne reconnus pas le monstre qui me tenait à sa merci. Juste ses yeux rouges teintés d'un éclat améthyste me rappelaient vaguement quelqu'un.
Quand il s’empara de ma bouche dans un ultime baiser je vis la femme murée à l’intérieur de cette enveloppe vide de son contenu. Elle voulut me dire un mot mais son ravisseur bloqua ses paroles en buvant mon désespoir. Dans un éclair de lucidité j'empoignai sa nuque en serrant mes doigts sur cette vie qui s’échappait de mes veines. Ma main gauche réussit à se frayer un chemin dans sa gorge et attrapa le peu d’humanité qui subsistait encore, à savoir cette femme prisonnière de ses qualités. J'écartai la bouche de cette chose en me servant de mes mains et entendis craquer cette mâchoire féroce. Quand je tirai sa langue hors de son palais elle emporta dans son sillage toutes les humeurs malveillantes qui sommeillaient dans les bas-fonds des enfers.
Elle m'apparut aussi nue et fragile qu’une sirène échouée sur une plage déserte. Derrière elle, le soleil jaune faisait briller de ses larmes dorées le ciel noir et les nuages s'effilochaient en cascade de pluie. Recouvrant l'air infecté d’une pureté odorante de senteurs florales et dégoulinantes de rayons invisibles.
Avec un dernier regard et nos mains serrées nous nous sommes laissé aller dans un sommeil dévastateur. J’ai repris conscience, dans mon lit, des seins doux écrasant ma poitrine sur laquelle une marque en forme d'ailes semblait s'y être déposée. En baissant mon regard il plongea dans ces yeux si clairs et si infinis que je me laissai dériver, une fois de plus. Mais cette fois, avec un sentiment de force brutale. Je perçus un changement dans ses caresses manuelles. Elles étaient plus lisses et désireuses de m’emmener dans un endroit isolé, dans lequel nous serions à l'abri de nos envies.
Perdus dans une bulle, libres de nos pensées les plus sauvages. Nous laissions faire, le temps d'une étreinte charnelle, nos instincts dévorants et nous évader dans la liberté impitoyable d'une nature grandissante. Je sentais des envies monstrueuses de faire mal mais lové dans son regard mon cœur était prisonnier de ma victime. Je lui appartenais tant qu'elle me maintenait en vie. Si je lui échappais, elle disparaîtrait avec mon humanité et mon ascension dévorante de dominer les étoiles.
Elle est si belle, sa peau dorée parsème de morceaux de lumière les recoins sombres de mon âme. Je défais les lacets de mon esprit le reliant au maître qui m'a coincé dans cette prison décadente. Une dualité entraîne mon corps dans un combat entre les ailes de l'enfer et la blancheur noircie du ciel entrouvert sur une faille de la nébuleuse du cygne. Une entaille qui pénètre mes chairs d’une déchirure mordante et agressive. Je sens mon dos se modifier et mes os faire place à de nouveaux vestiges. J’avais peur de ne plus lui appartenir, de me sentir différent. Mais ce fût le contraire, cela nous a rapproché.
Nous avons gravi des sentiers hors du charnier natal et pris notre envol du haut des abîmes des arbres centenaires. Notre nouvelle vie commence et nous guide vers un étrange horizon d’étoiles. Je sais maintenant que mon destin n’est plus de me laisser mourir mais de vivre, emporté par une soif de découvrir une cime plus éphémère que les ruines de nos vestiges désenchantés. J’appréhende avec une certaine candeur les pensées les plus sombres qui me torturent en faisant douter ma deuxième aile.
Son regard brillant me transperce toujours avec autant de fougue que les premiers rayons du soleil. Elle dessine sur mon cœur des lettres incandescentes qui resteront emprisonnées dans les limbes de mon âme. J'aspire à ne pas oublier que je lui dois cette vie. Et qu’elle me doit la sienne.
D’eux égalent un.
Nous sommes uniques.
Nous sommes L et Lui…
Ailes
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