Par une nuit étouffante, j’ai pris la mer, seul sur mon bateau. Ivres, nous avons dérivés lentement, secoués par les vagues hurlantes de nous voir encore debout. Et puis, il y a eu un terrible éclair et je l’ai vue. Pas tout de suite, mes yeux ont d’abord dû s’habituer à la lumière aveuglante.
Nageant avec fluidité, elle s'efforçait de rester à la surface. Ses longs cheveux noirs et sa peau blanche contrastaient avec l’eau sombre et étincelante. Soudain, le calme est apparu, glacial et inquiétant. Je ne la voyais plus, je n'entendais que les battements rapides de mon cœur.
Et dans un bond, elle a atterri sur le pont. Elle était là, allongée dans toute sa splendeur éclatante. De grands yeux sombres brillant d'un éclat d’améthyste. Une bouche aux lèvres noires et une queue, immense, couverte d'écailles bleu nuit.
Elle me regardait d'un air de défi. Ses mains composées de quatre doigts terminés par de longs ongles acérés traçaient dans le bois des signes que je ne comprenais pas.
Je me suis rapproché d'elle, n'en menant pas large mais avec cette envie folle de la voir de plus près. Tandis que j’avançais sa queue disparaissait faisant place à deux jambes fines et parsemées de lignes sombres.
Alors que j’étais à quelques pas, elle se leva et se mit à chanter. Une musique douce, entêtante, s’insinua dans mon esprit. Je vis son monde, perdu au fond des abysses, bercé par des couleurs grisantes et éphémères. Et ce fut l’explosion.
Une myriade de sensations s'empara de moi et me laissa vidé, un goût salé en bouche. Quand je la regardai de nouveau, je vis une femme et non un animal. Elle me faisait face, je sentais son souffle chaud sur ma peau frissonnante. Son baiser avait le goût des profondeurs et la senteur d'une fleur sous-marine. Sa langue jouait habilement avec la mienne. J'avais posé mes mains sur ses seins. Ils étaient aussi froids que la pierre des montagnes.
Elle a plongé son regard dans le mien et j'ai senti la colère et l’instinct du chasseur se répandre dans mes veines désarmées. Je me suis libéré de son emprise laissant sa peau reprendre ses droits de guerrière. Elle a viré au sombre et des petites ailes sont apparues sur ses avants bras, ses jambes et dans son dos. Ses dents se sont faites plus féroces et plus longues. Ses yeux plus effilés, plus opaques. Des branchies apparurent sur son cou et ses côtes.
Seule sa queue n’était pas là mais je supposai que l'eau devait y être pour quelque chose.
Elle m'a griffé au visage et sur le coup, je suis tombé assis, portant la main sur ma joue, hébété. Je ne comprenais pas ce brusque revirement.
Je ne me suis pas relevé me contentant de la regarder bêtement. Voyant que je n’étais pas celui qu’elle croyait elle s'est accroupie, et a léché les gouttes de sang qui perlaient de la griffure. J’ai happé cette langue et soudé mes lèvres aux siennes. Résistant à la pression de son corps, la tension entre nous s'est dissipée, entrelaçant notre envie de ne faire qu'un.
Je me suis réveillé, perdu dans un monde qui n'est plus le mien. Inscrit sur le ponton le chemin de celui qui le sera…
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