dimanche 26 mai 2019

Bleuté

Elle flotte seule au milieu de l’océan. Dans le ciel irisé des lambeaux de nuages se perdent dans l’ombre de l’horizon couchant.

Ballottée par les vagues, elle semble dormir d'un sommeil sourd. Son visage semble respirer une certaine plénitude.

Les yeux ouverts sur l'espace qui l’entoure elle dérive lentement vers l’inconnu.

Le buste et les bras sont les seules parties de son corps qui ne sont pas immergées. Malgré la fin du jour elle se sent comme un poisson dans l’eau.

Au loin, des gros bateaux se partagent l’étendue de bleu. Son regard reste figé, la mer se reflétant dans ses yeux clairs.

À la recherche de survivants lors d'un naufrage je l'ai aperçue, petit point isolé.
Et lorsque je l'ai attrapée pour la faire monter à bord elle semblait légère.

Hélas, elle ne faisait déjà plus partie de ce monde car elle n’était plus qu'un tronc sans vie.

Babines

Elle est là, tapie dans l'ombre, attendant son heure avec délectation. Elle sait que cela fera mal mais elle ne peut s'empêcher de le faire. Car face à ses démons intérieurs elle se doit de gagner cette bataille. Et si elle doit sortir les griffes elle fera parce qu’elle ne s'en laisse pas le choix. Son cœur bat la chamade mais son esprit reste serein.

Elle ne peut se résoudre à vivre aussi insouciante qu’à l’époque où son âme s'est fourvoyée. Son souffle s’accélère et ses yeux fixent un point à l’horizon. La chaleur sourde du soleil répand une douce lumière enivrant ses sens d'un léger hale. Ses pupilles dilatées entrouvertes lorgnent sans cesse sur ces lambeaux de nuages. Ils lui rappellent que sa vie déchiquetée ornera les bouches de mots enthousiasmés lorsqu'elle ne sera plus un fardeau dans ses tiroirs. L’ombre fera place à la clarté et les cerisiers en fleurs dépeindront des larmes de joies sur ses joues roses.

Allez, c’est l'heure d'apposer sa patte sur ses livres

mercredi 6 mars 2019

Boréale

Au loin, un chant m’est parvenu dans l'aurore boréale.  

Un chant envoûtant, une mélodie venue du fond de la mer m’a fait me pencher par-dessus le bastingage. En plongeant mon regard dans les abysses je n'y ai vu que le reflet de mon désespoir. Perdu, au milieu de l’océan, je dérive pris dans les flots amers de ma solitude. Je me noie à la surface de ce monde si lisse en apparence.  

Ivre d’émotions j'ai lâché prise et me suis écroulé, inerte sur le plancher de ma grisaille.  

Une main douce aux griffes acérées s'est posée sur ma joue, creusant un filet rouge. Me réveillant en sursaut j'ai découvert ces yeux émeraudeme laissant happer par une musique enivrante.  

Son corps mi femme me subjuguait par sa beauté naturelle. Sa queue de poisson frappait sans cesse le ponton. Ses longs cheveux noirs descendaient jusqu'à ses seins ronds et pleins. Dans le dos et sur les avant-bras des petites ailes assuraient un aérodynamisme effilé.  

Son chant ne me quittait pas et ma tête devenait de plus en plus lourde. Je dansais sous les étoiles brillantes. Mon corps ne m'appartenait plus, flottant, se mouvant tel un poisson rapide. Autour de moi, des fleurs sous-marines endiablaient ma descente lente et savoureuse. L'air commença à me manquer et lorsque je refis surface je n'avais pas bougé. J’étais toujours allongé sur le ponton avec la femme poisson qui me fixait de ses pupilles dilatées.  

Elle se pencha soudain et posa ses lèvres humides sur les miennes. Sa langue se fraya un chemin pour s'enrouler autour de la mienne. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort. J’avais l’impression que l’océan se joignait à nos caresses buccales. Cet instant aurait pu durer l’éternité.  

Puis elle se releva et me regarda longuement en soufflant bruyamment. Sa belle queue se muait doucement en deux jambes longues. Elle fit face à l’horizon, et sous la voûte étoilée, elle chanta, faisant sortir des notes harmonieuses, illuminant le ciel et mon cœur pris dans son filet.  

Elle a plongé brusquement me laissant avec un arrière-goût d’inachevé. Un sentiment de plénitude salée recouvrit mes ardeurs piquées au vif. J’hésitai à sauter pour la rejoindre mais les couleurs vives de l'aurore s'obstinaient à m'entourer de chaleur. Passant ma langue sur mes lèvres j'essayais de retrouver le goût de la belle créature.  

Je me suis endormi, me laissant sombrer dans les abysses étouffantes et noires. Mon corps semblait vouloir se fondre dans les méandres opaques de ces eaux pourtant si claires. Je sentais la pression écraser ma poitrine et l'air s’échapper de mes poumons endoloris.  

Quand je me suis réveilléle ciel était bleu et la mer brillante de douceur.  

Dans les jours qui suivirent, des modifications mordaient ma peau. Des petites nageoires et des ouvertures semblables à des branchies sont apparues. Mes yeux se faisaient plus sombres et dans ma tête résonnait une douce mélodie envoûtante et enivrée.  

L'appel de L’aurore boréale se faisait sentir. Oserai-je plonger à corps perdu dans ce monde inconnu qui me tend les bras.  

Hauteurs

Dans les rues de Paris, j’ai senti des volutes de courbes entourer mon esprit volatile. Des senteurs parfumées embaumaient la grisaille matinale. Les formes acérées de Vasarely m'emportaient dans un univers de cubes cosmiques. Son travail précis distillait çà et là des couleurs métamorphosées empreintes d'ombres et de lumières. Mes sens se perdaient dans les méandres opaques des œuvres lisses et ondulantes.  

Au détour d'un mur, une femme posa son regard clair sur moi. Mes pieds montèrent sur la terrasse ouverte et je plongeai dans un tourbillon de cercles concentriques. Au-dessus des toits de la ville mon cœur brisé s'éparpilla  aux vents rosés.  

Je tombai dans les bras de cette inconnue, inanimé. Des lambeaux de mon âme effilochée s'engouffrèrent dans son cri de surprise.  

Les formes géométriques me poursuivaient, leurs musiques complexes griffaient ma peau sur un air déchirant.  

Sur la place Beaubourg j'entendis les plaintes silencieuses de la fontaine desséchée. Sa verve ne caresse plus les yeux des passants de sa splendeur immergée. Les larmes de Stravinsky  ne souillent plus de leur légèreté les joues émerveillées. Sa liqueur a cessé de faire danser les étoiles dans les pupilles dilatées. Lafontaine pleure de ne plus être d’eau.  

Je suis le cours de la Seine, au loin un chant me rappelle que l’air ne souffle plus les chandelles. De pas en pas dans le Marais je me retrouve aux Lilas, suspendu entre le temps et l'espace. D'être un instant pris entre le vivant et le calme.  

Cette découverte du monde m'entoure et me ramène là où je suis né, nu, entre le beau et l’être.  

Histoire de passer, un temps, une journée, une vie.  

vendredi 15 février 2019

Iris

Elle s’appelait Iris et jamais je n'oublierai les siens

Elle avait vingt-six ans et n’avait peur de rien

Elle dansait pour moi, entourée de ses amies, les milliards d’étoiles qui parsèment le ciel de leurs éclats

Elle ne m'avait jamais vu mais me reconnaissait au moindre bruit

Elle était si belle dans cette robe colorée ce soir-là

Elle m’avait susurré à l'oreille qu’elle voulait vivre avec moi, qu’elle acceptait de se marier

Elle m’avait embrassé sur la bouche et son baiser avait le goût de l'amour, fruit de notre rencontre

Elle me serrait si fort contre elle que je sentais son cœur battre comme un fou

Elle était heureuse

J'avais enfoui ma tête dans son cou et respirais le parfum de sa peau douce

J'ai dansé, collé contre elle un long moment, les yeux fermés

J'aurais voulu que cet instant dure l’éternité

J'ai longtemps rêvé ce qui s'est passé cette nuit-là

J'ai pu admirer son corps nu

J'ai pu toucher ce que j'avais désiré si fort si longtemps

J'ai remercié ce corps en lui donnant une vie

J'ai choyé ce que nous avions construit

J’ai entendu grandir ce qui nous remplissait de joie

Nous étions heureux à trois

Elle est née un samedi et j’ai pleuré avec elle

Elle est vivante, sa mère ne l'est plus

Elle est aussi belle que sa mère ne l’était

Elle est toute ma vie et plus encore

Elle s’appelle Iris et a les mêmes yeux que sa mère.

Mirabelles

Sur son écorce, gravées au couteau deux initiales lovées dans un cœur. Il se rappelle très bien du jour où il s'est laissé entailler.

Elle, petite brune, de grands yeux marrons parfois un peu tristes.

Lui, à peine plus grand, l'air mélancolique.

À l’ombre de son feuillage, ils s’étaient assoupis, main dans la main. Il les avait couvés de ses bras protecteurs, leurs offrant un souffle léger rafraîchir leurs peaux transpirantes.

Quand ils se sont réveillés ils ont beaucoup discuté de leur avenir ensemble. Ils savaient dans quelles directions aller. Mais leur union commençait ici.

Elle sentait que sa route prenait un tournant, à l'aube de sa vie de femme. Libre de s'envoler vers des chemins parsemés de douceur.

Lui, avait le regard ouvert sur celle qu'il désirait fleurir. Ses yeux semblaient voir leur futur. Virevoltant comme des papillons sauvages.

Quand il avait goûté ses lèvres un frisson les a secoués. Et leurs langues mélangées ont électrisé leurs cœurs unis. Ils étaient complémentaires.

Pour immortaliser cet instant magique ils avaient scellé leur amour dans le bois tendre.
Chaque année, ils sont revenus renforcer leur amour mutuel.

Et un jour, elle est venue seule car lui n’était plus. Elle est restée là, les yeux embrumés, à attendre le moment où ils se retrouveraient. Elle caressait ma peau dure et semblait inaccessible dans sa douleur. Je lui donnais des fruits pour qu'elle trouve le temps moins capricieux. Mais mon grand âge dispersait mes envies protectrices.

Elle me racontait sa vie au côté de celui qu'elle n'avait jamais quitté. Les délices de partager une joie incommensurable. Un rêve éveillé, une illusion réelle. Les années fastes et les jours sombres. Les méandres de la vie.

Et elle s’en est allée, me laissant seul avec moi-même. Traversant les époques et les âges, laissant le temps me façonner. Donner à ce paysage une nouvelle identité chaque jour. M’élever dans les airs tel une tour surgie de nulle part. La tête dans les étoiles et les pieds dans la terre. Je suis à ma place.

Chez moi…

Renovatio

Aujourd'hui j’ai dansé. Je ne l'avais plus fait depuis que j'ai eu mon accident.

Aujourd'hui ma mère est venue me voir car elle voulait me rassurer.

Aujourd'hui j'ai enfin su dire à mon copain que je n’étais plus amoureux de lui.

Aujourd'hui j'ai pris mon courage à deux mains pour quitter mon lit.

Aujourd'hui j'ai vu une autre couleur que le blanc.

Aujourd'hui j'ai à nouveau marché.

Demain sera le jour de mon grand retour.

Demain sera le jour où j'avouerai à mon ami mon amour.

Demain est ce jour où je suis enfin prêt. Demain est ce jour où je m’abandonnerai.

Hier était le jour où j’étais à nouveau moi.

Hier était ce jour où j’étais avec toi.

mercredi 6 février 2019

Sakura

Je suis là, immobile, face à cette fenêtre. Je regarde les arbres en fleur illuminer le ciel de leurs pétales. Ce spectacle dansant me ferait presque pleurer si je le pouvais.

Avec impatience, j’attends mon amie. Elle ne sort que la nuit. Chaque fois que je la vois je sens une indicible joie me transporter. Je m'évade avec elle vers des lieux qui me sont inconnus. Une légèreté s’empare de mon corps, virevoltant parmi les nuages et me rapprochant un peu plus près des étoiles.

J’aimerais quitter ce lit, vivre et respirer un air autre que celui de cette chambre morne et aseptisée. Ces murs blancs me rappellent sans cesse que je suis prisonnier de moi. Enfermé dans cette prison insensible, incapable de bouger et de ressentir.

Mon amie la luciole, va bientôt arriver. Me délivrer, un court instant, de ce cercueil de verre. Sa lumière transperce ma rétine et fait voler des papillons aux couleurs chatoyantes. Je m'envole, ivre d'amères illusions, emporté par l'envie d’être.

Et demain, tout recommencera…

Juste être encore une fois…

Maintenant que la glace est brisée entre nous, les choses me paraissent plus éclatantes. J’aspire à mieux la connaître. Mon cœur s'emballe et mon esprit ne s'est jamais fait aussi aérien.

Je m’envole dans les airs et ma joie ne s'efface que lorsque notre chevauchée touche à sa fin. Je suis ma lueur à travers les champs de lavande et les senteurs qui s'en dégagent me font tourner la tête. Telles deux valkyries nous fonçons à perdre haleine dans les hautes herbes. Et, quand, l'heure de nous quitter se rapproche nous nous arrêtons à l'ombre d'un cerisier. Et, là dans l'aurore naissante je vois le ciel irisé empourprer les joues de mon amie.

Dans ses yeux, une étincelle de bonheur naît, faisant perler une goutte amère de rosée.

Car, si je m'évanouis chaque matin, elle, reluit de douceur chaque nuit.

À bientôt mon amie…