jeudi 8 août 2019

Rose

Elle s'amuse tous les soirs. Elle adore faire la fête, boire des cocktails et voir ses amis. Et quand elle rentre aux petites heures elle s’écroule comme une masse sur son lit. Elle dort d'un sommeil lourd comme pour oublier quelque chose.  

Quand elle se réveille la bouche pâteuse et les yeux embrumés elle a la nausée. Elle fonce aux toilettes et se libère d'un poids sûrement imaginaire.  

Elle est pourtant certaine de ne pas être enceinte, d’ailleurs elle n'en veut pas, enfin pas pour le moment. Elle aime cette sensation de liberté. Décider de ce qu’elle veut faire. Aujourd'hui et demain.  

Sa colocataire ne lui ressemble pas. C’est une fille très sérieuse et calme. Toujours le nez dans ses bouquins et les fesses dans une classe. Jolies fesses d’ailleurs 

Maya papillonne et se surprend à aimer ça. La nuit dans les bars à repousser l’heure du marchand de sable. C’est une perte de temps le sommeil mais parfois bénéfique. Parce qu'à force ça fatigue de ne pas dormir.  
Allongée sur son lit, dans le noir, elle grignote les minutes et ne pense qu'au lendemain. Ses mains caressent son ventre plat et se demande ce qu'elle ferait si elle était enceinte. Son cœur balance entre perdre son rythme effréné et gagner en maturité. Aurait-elle la force de s’occuper d'un bébé. Certes, elle n’en veut pas mais prendrait-elle la bonne décision.  

Son dernier rapport sexuel remonte à plus de deux mois.  

Dehors le soleil se réveille doucement et fait entrer des éclats de lumière entre les rideaux mal tirés. Soudain, elle doit en être sûre.  

Elle attend les résultats du test. Elle n'ose pas trop regarder la couleur de la languette. Et si, à cet instant, sa tour d’ivoire venait à s’effondrer. Emportant avec elle les derniers moments d’insouciance. Scellerait-il derrière des barreaux la fin de son adolescence. Pour la précipiter dans celui des adultes maîtres de leur destin.  

Rose.  

Aussitôt des larmes de rage et de bonheur la font frissonner. Ses joues sont marquées d'un nouveau sentiment, inconnu jusqu'ici.  

Tandis que son ventre s’arrondit elle sent une vie prendre naissance. Elle se souvient de l’article qu'elle a lu sur cet étrange phénomène que l’on appelle le déni de grossesse.  

La Malogne

Du haut de cette colline, je vois le monde qui m'entoure. Certes il n’est pas très reluisant mais je l’aime encore. Il fait partie de moi.  

Dans cet espoir qui me fait face je prends conscience de toute la splendeur qu'il m’offre à sa vue. Et c’est accompagné d'elle que je suis plus heureux chaque jour. Car si je m'efforce de ne pas sombrer c’est pour lui montrer qu’à deux on peut vivre encore de belles choses.  

Et si l'amour me tend ses bras, je ne peux qu’être à la hauteur de ses yeux. La regarder en souriant, lui susurrer des mots emplis de tendresse éphémère, virevoltants au gré du vent poussé par la brise légère.  
Car si, je m’abandonne dans ses bras et goûte au parfum de ses lèvres, je ne glisse pas, happé par l'ivresse du temps et l'amère solitude du soleil couchant. Ses larmes se perdent dans l'ombre des feuilles des arbres et ensevelissent nos pas à peine marqués par le poids des années filantes.  

C’est dans cette optique que je rejoins ma copine, les yeux ouverts sur notre futur et les mains unies sur nos passés. Parce que le temps bouge et la terre aussi mais nous, serons toujours en mouvement 

Peut-être éternel… qui sait ? 

Bleu nuit

Quand je relevai les yeux vers le ciel je sus que rien ne serait plus pareil. 

Les étoiles jouaient à cache-cache avec les nuages. Les filaments colorés du soleil couchant tombaient en pluie fine dans l’horizon flamboyant. 

La vie à laquelle j’aspirais me semblait s'éparpiller en lambeaux grimaçants. Les poings serrés de rage je tournais le dos à mes rêves éphémères. J'enviais presque les morts de dormir. 

Mon bateau, le Soulwax Fm, se traînait péniblement sur les flots somnolents de cette mer calme. Après le coup de fil que je venais de recevoir je n’étais pas près de remettre les pieds sur la terre ferme. Vie de m.... 

Pour oublier ces instants pénibles, je mis la station Soulwax Fm à fond sur les hauts parleurs. Ayant enclenché le pilotage automatique je m'allongeai sur le plancher les yeux fixant le ciel étoilé. 

J’étais bien, une cigarette aux lèvres. Je repensais à cette déconvenue. Une de plus, venant remplir le verre de mes échecs. 

Nothing but pleasure ma chanson préférée.

La musique s’arrêta brusquement, arrivée en fin de cycle. Je ne m'en rendis pas compte parce que je m’étais endormi, bercé par le roulis. Mais plus tard, un autre son plus mélodieux me réveilla à moitié. Je sentais que j’étais transporté car le manque d’air me fit suffoquer. 

Lorsque j'ouvris les yeux, ils semblaient noyés et ma vision était floue. D'ailleurs, j'avais beau les ouvrir en grand il faisait toujours aussi sombre. Et d'un coup ce fut le flash, une myriade de couleurs chatoyantes imprégnèrent mes pupilles dilatées. Des fleurs sous-marines roses, bleues, vertes, jaunes se mouvaient dans des courbes caressantes. Des sources d'eau chaude rythmaient des bulles souples en teintant la température accueillante. 

Tout autour sur les parois bleutées de cet antre malicieux des plantes phosphorescentes brillaient d'un éclat lumineux. Et parmi ce chatoiement artificier des sirènes me regardaient d'un air méfiant. Soudain je regardai mes mains. Elles avaient pris la couleur des profondeurs, d'un éclatant bleu nuit. Et à mes jambes s’était greffée une belle queue d'au moins un mètre. 

Pris dans le tourbillon de l’inconnu je vis arriver une sirène aux yeux violets. Elle nageait telle une danseuse de ballet. Souple et légère sa peau avait des reflets sombres et électrisants. Elle se mit à onduler autour de moi, me faisant tourner la tête. Portant la main à la joue je sentais encore la douleur cuisante de sa griffe sur ma peau. Elle s’arrêta et s’approchant elle m’embrassa doucement, contrastant avec la fougue de son arrivée. Je retrouvai le goût des fleurs sous-marines. Sa langue jouait habilement avec la mienne. Je plongeai avec délectation dans son regard améthyste. Je sentais sa poitrine sauvage se presser contre mon torse renforcé. 

Elle m'emmena dans sa tanière, à l'abri des regards. Me tirant par la main avec une force que je n’aurais pas soupçonnée. Reprenant son baiser, je sentis des informations suggérées atteindre mon cerveau qui les déchiffra dans ma langue natale. 

Elle m'apprit qu'elle s'appelait Naya. Elle était née sirène mais son peuple n’avait pas toujours vécu dans l'eau. Au prix d'une longue évolution et aussi par la force des choses, il avait dû se résigner à vivre ici. Ce n’était pas un hasard si elle m'avait harponné. Elle avait senti une grande détresse dans mon cœur et l'attraction de l’étoile de Zeta avait contribué à notre rencontre. Naya avait voulu me tester. En s' apercevant que je n’étais pas une menace elle m'avait marqué pour lui appartenir un jour. 

Ce soir scellerait mon entrée dans son écrin. Ici, dans les bas-fonds bleus, nous serons unis. Et chaque jour passé à ses côtés m'éloignerait un peu plus du monde qui m'avait fait naître.

dimanche 2 juin 2019

Sous le vent

Et quand je relevai les yeux, elle avait disparu, me laissant avec un arrière goût d’inachevé.

Sa présence illuminait les ombres dansantes des arbres solitaires. Le vent faisait bruisser leurs feuilles ivres d'insolence.

J'avais entrouvert l’espoir de la garder à mes côtés mais j’ignorais son ultime dessein. Quand je rejoignis la plage, l’eau se mourait à mes pieds, amère de ne pas faire de vagues.

L’horizon se teintait peu à peu de rouge, dépeignant la couleur de mon cœur meurtri. J’aurais aimé lui dire je t’aime.

Des éclats du soleil couchant se reflétant dans l’océan semblaient enflammer mes espoirs d'avancer. J’étais perdu, seul et désemparé.

Je me suis laissé tomber sur le sable encore chaud, témoin de notre escapade. Des larmes intemporelles glissaient sur mes joues irisées. Leur goût avait la texture d'une lente agonie.
Allongé, les yeux fermés, je repensais à ton sourire, faisant de toi ta force de vivre. Et même si tu n’étais pas parfaite tu resteras pour moi celle qui a ouvert une fenêtre dans mon cœur sur le monde.
Loin de cette agitation nous avions appris à défier les lois de la nature. Et nous réfugier dans les recoins de nos âmes, emmitouflés dans des brumes passagères. Le temps semblait ralentir, laissant le blanc engourdir nos mains et creuser des rides sur nos corps mordus par l’insouciance d’être ensemble.

J'avais posé ma bouche sur son sein, emprisonné son souffle entre mes lèvres. J'entendais ses battements grandir, enlacer ses impulsions aux miennes. Et dans un cri, hurler son envie de mordre ma peine.

Et ici, sur ce rivage isolé, j’entends les nuages parler de toi, dans un souffle ils murmurent leur désir de t'emmener avec eux. Libre, avec un œil posé sur ma rétine tu t'en vas, me faisant signe de ne pas te suivre.

Les beaux jours reviendront quand les cerisiers seront en fleurs.

dimanche 26 mai 2019

La mer

Au milieu de cette foule elle se sent perdue.

Et même si la chaleur sourde du soleil lui donne des couleurs cela ne comble pas le vide que la mort de sa mère a creusé.

Les yeux fixant l’horizon elle cherche sans succès l’endroit où le ciel se confond avec la mer.
Grandissant du fond de son cœur meurtri un océan de larmes est sur le point de briser le barrage qu'elle s’est construit.

Peut-être qu’ailleurs l’eau est plus limpide, moins opaque que celle qu'elle s’apprête à lâcher.
Elle regarde avec amertume les rires des enfants qui l'entourent.

Certains jours sont gris mais la plupart sont noirs.

Un hélicoptère survole la plage, faisant signe aux baigneurs de ne pas s'avancer trop loin.

Les pieds dans l'eau elle s’enfonce lentement dans un abîme de légèreté teinté de douceur.

Au plus près du sable l'air s’échappe en fines bulles.

Dans la profondeur du rivage elle se perd dans la solitude bleutée.

Son cri de désespoir la fait basculer dans un monde où des effilochés de blancs jouent à cache-cache avec ses souvenirs d'une vie passée.

Son désir de refaire surface se noie dans les sirènes de l’ambulance…

Syrielle

Seul, assis sur cette balustrade, du haut de ce pont, je regarde le fleuve se jeter dans l’horizon couchant. Les yeux brouillés, je sens que je ne vais pas tarder à faire le grand saut. Le soleil orange pointe ses derniers rayons avant de s’éteindre. Le temps de m’allumer une cigarette.

Aujourd'hui j’ai tout perdu. Depuis l'amour de ma vie à mon amour de la vie. Je me sens seul, terriblement seul.

Je voudrais pousser un cri mais j'ai peur de réveiller en moi les démons qui sommeillent. Je ne veux pas devenir un monstre.

Elle s'appelait Syrielle. Quand je l'ai connue, elle venait de perdre la vue suite à un accident de voiture. Victime collatérale. Ses premiers pas l'ont conduite dans mes bras. Elle avait de si beaux yeux verts hélas incapables de voir. Ce n’était pas mon cas.

Tout s'est enchaîné rapidement. Elle mettait de la lumière colorée dans ma vie terne et je parsemais ses pas de fleurs. Leurs parfums lui faisaient tourner la tête et emplissaient ses sens. Notre histoire ressemblaient à des papillons virevoltant.

Et un soir, elle est morte, happée par le tourbillon de la vie. Une fine lame a tranché sa gorge délicate pour un billet de 50. Cette nuit là c’est moi qui suis tombé. Face contre terre. Le choc de ma vie. Sourd et brutal.

J'ai sombré comme une bouteille à la mer. Emporté par les flots de mes larmes, je dérivais secoué par des torrents de vagues noircies par le manque. L'ivresse des profondeurs m’entraînait toujours plus bas que les abysses. J’aspirais à toucher le fond mais il était sans fin. Creusant de nouveaux sillons si profondément ancrés dans mon cœur que je suffoquais à l’idée d’avancer seul.

Un jour, le soleil est à nouveau entré dans mon appartement. Et j'ai refait surface, nageant péniblement vers le rivage.

La maladie m'a rattrapé sur le chemin de la guérison, me laissant pantelant. Hagard, je regardais les heures défiler comme des minutes.

Maintenant je vis mes dernières secondes. Ici, bientôt ailleurs, je te rejoins pour finir ce que nous avons commencé.

Bâtir un nouveau départ et reprendre une nouvelle inspiration.

L’histoire de ma vie s’achève ici.

La nôtre commence là-bas

Griffe de mer

Par une nuit étouffante, j’ai pris la mer, seul sur mon bateau. Ivres, nous avons dérivés lentement, secoués par les vagues hurlantes de nous voir encore debout. Et puis, il y a eu un terrible éclair et je l’ai vue. Pas tout de suite, mes yeux ont d’abord dû s’habituer à la lumière aveuglante.

Nageant avec fluidité, elle s'efforçait de rester à la surface. Ses longs cheveux noirs et sa peau blanche contrastaient avec l’eau sombre et étincelante. Soudain, le calme est apparu, glacial et inquiétant. Je ne la voyais plus, je n'entendais que les battements rapides de mon cœur.

Et dans un bond, elle a atterri sur le pont. Elle était là, allongée dans toute sa splendeur éclatante. De grands yeux sombres brillant d'un éclat d’améthyste. Une bouche aux lèvres noires et une queue, immense, couverte d'écailles bleu nuit.

Elle me regardait d'un air de défi. Ses mains composées de quatre doigts terminés par de longs ongles acérés traçaient dans le bois des signes que je ne comprenais pas.
Je me suis rapproché d'elle, n'en menant pas large mais avec cette envie folle de la voir de plus près. Tandis que j’avançais sa queue disparaissait faisant place à deux jambes fines et parsemées de lignes sombres.
Alors que j’étais à quelques pas, elle se leva et se mit à chanter. Une musique douce, entêtante, s’insinua dans mon esprit. Je vis son monde, perdu au fond des abysses, bercé par des couleurs grisantes et éphémères. Et ce fut l’explosion.

Une myriade de sensations s'empara de moi et me laissa vidé, un goût salé en bouche. Quand je la regardai de nouveau, je vis une femme et non un animal. Elle me faisait face, je sentais son souffle chaud sur ma peau frissonnante. Son baiser avait le goût des profondeurs et la senteur d'une fleur sous-marine. Sa langue jouait habilement avec la mienne. J'avais posé mes mains sur ses seins. Ils étaient aussi froids que la pierre des montagnes.

Elle a plongé son regard dans le mien et j'ai senti la colère et l’instinct du chasseur se répandre dans mes veines désarmées. Je me suis libéré de son emprise laissant sa peau reprendre ses droits de guerrière. Elle a viré au sombre et des petites ailes sont apparues sur ses avants bras, ses jambes et dans son dos. Ses dents se sont faites plus féroces et plus longues. Ses yeux plus effilés, plus opaques. Des branchies apparurent sur son cou et ses côtes.

Seule sa queue n’était pas là mais je supposai que l'eau devait y être pour quelque chose.

Elle m'a griffé au visage et sur le coup, je suis tombé assis, portant la main sur ma joue, hébété. Je ne comprenais pas ce brusque revirement.

Je ne me suis pas relevé me contentant de la regarder bêtement. Voyant que je n’étais pas celui qu’elle croyait elle s'est accroupie, et a léché les gouttes de sang qui perlaient de la griffure. J’ai happé cette langue et soudé mes lèvres aux siennes. Résistant à la pression de son corps, la tension entre nous s'est dissipée, entrelaçant notre envie de ne faire qu'un.

Je me suis réveillé, perdu dans un monde qui n'est plus le mien. Inscrit sur le ponton le chemin de celui qui le sera…

Ascension

J’ai ouvert les yeux sur ce soleil rouge qui embrasait mes pensées les plus sombres. J'avais envie de plonger à corps perdu dans cet antre écarlate. Mon cœur faisait des bonds et ma bouche s’ouvrait sur un cri qui ne vint jamais. J’étais perdu, isolé entre deux éclats. J’avais faim de découvrir cette nouvelle sensation de douceur et de caresses.

Mes mains essayaient de sentir ce désir de fragrances libres et inodores. J'haletais entre l’amertume et l'espoir de renaître. Des images en éclats de verre s'abattaient sur mes rétines douloureuses de voir le noir partout. Des instants de relâche se pressaient dans les recoins sauvages de mon esprit embrumé. J’avançais à tâtons dans cet océan glacial qui recouvrait d'un silence oppressant mon âme déchirée.
J’ai pu mettre des mots sur les pas qui gravitaient autour de mon espace d'infortune. Mon lit me servait de radeau imaginaire voguant au gré des lames en cascade. J'ai longé les côtes éphémères des falaises blanches délavées par les morsures du temps sans fin. Le déluge s’abattit comme des larmes détrempées égarées par des nuages sans têtes. Des bouquets de fleurs tombés ici et là entouraient de multiples couleurs les relents amers de ma victoire. J’osais à peine lever les bras pour montrer le chemin accompli.

Aujourd'hui ce n'est plus marcher mais rouler qui me fera avancer d'un pas décidé vers une destination qui m’attend à bras ouverts…